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Spinoza : Puissance de la raison et liberté

La connaissance des mécanismes passionnels permet à l’homme de se libérer et d’accéder à la vertu véritable, qui n’est autre que le bonheur.

1. La voie du salut

A. La connaissance libératrice

Nées de l’ignorance, les passions ne peuvent être vaincues que par la connaissance. Prenons un exemple: un homme est raciste parce que son imagination, à une certaine occasion, a lié ensemble l’appartenance à une certaine race et la méchanceté. Cette association imaginaire, dont il ignore le caractère illusoire, s’est faite spontanément en lui à la suite d’une expérience désagréable, et ressurgit à toute occasion.

Mais la raison lui montre que cette association est une généralisation abusive, opérée par sa seule imagination; que la cause réelle de l’outrage n’était pas la race de l’individu, mais son caractère. Du coup, sa haine à l’égard de la race en question disparaît; même si son imagination continue de faire l’association, il n’en est plus la proie; son souvenir désagréable ne se transformera plus en haine.

Si la raison ne supprime pas totalement la passion*, elle en neutralise au moins les conséquences. Son irritation ne se dirige plus sur des causes imaginaires.

B. Impuissance des préceptes

Pour lutter contre une passion, la connaissance abstraite d’une règle de conduite n’est donc pas suffisante: le tueur sait qu’il ne faut pas tuer, mais cela ne peut s’opposer victorieusement à ses passions, car il ne sait pas pourquoi il est mal de tuer. Ou plus exactement, il sait seulement que «c’est mal», sans comprendre que c’est mauvais, que cela ne fera pas son bonheur.

La loi morale, pour être efficace, doit être vécue de l’intérieur, éprouvée, comprise. Celui qui l’a comprise ne la ressent plus comme une loi extérieure, imposée, mais comme une norme naturelle, qui ne fait que développer sa puissance d’agir.

Pour contrer un sentiment, il faut un autre sentiment, plus fort, engendré par la connaissance: ainsi, la raison nous présentant autrui comme notre semblable, et démontrant que l’homme est utile à l’homme, que la rivalité et la haine sont stériles et finalement destructrices, elle suscite un sentiment de joie lié à l’idée d’autrui, bref un amour de l’humanité capable de contrer l’emportement.

2. L’éthique : la morale sans la tristesse

La vertu consiste à chercher ce qui nous est utile, sous la conduite de la raison; bref, à ordonner le désir à la raison et non plus à l’imagination. L’utile, c’est la joie durable de tout l’être, différente du plaisir passager, éprouvé dans une partie du corps. Au fond la raison permet au désir d’atteindre sa fin véritable, qui est la vertu, c’est-à-dire le bonheur.

Or, la raison nous montre comme utile quasiment tout ce que la morale traditionnelle se contente d’énoncer comme des règles ou des devoirs. Elle en élimine seulement les passions tristes, bref les mauvais motifs – tout ce qui dans la morale de tous les jours ne fait qu’ajouter la tristesse à la tristesse: ainsi le remords doit-il laisser place à la résolution de bien faire, la crainte du châtiment à l’amour direct du bien, l’apitoiement stérile à une miséricorde active et joyeuse.

On découvre que les «lois morales» ne sont pas arbitraires; le sage comprend pourquoi il est effectivement mauvais pour notre bonheur véritable de tuer, de tromper, de mépriser, de haïr; l’homme du commun est vertueux par obéissance ou par crainte, le sage l’est en connaissance de cause, et par amour. La cause de la moralité des actes n’est plus extérieure, mais interne; on passe de la passivité à l’action véritable.

Prenons l’égoïsme: il n’est pas un mal seulement parce que Dieu nous a interdit d’être égoïste. L’égoïsme fait notre malheur. Il est une manière faussée de s’aimer soi-même. Le bonheur d’autrui est en effet une condition du nôtre; nous sommes liés en Dieu; rien n’est plus utile à un homme guidé par la raison qu’un autre homme semblablement guidé. L’accord des puissances dans l’amour réciproque rend chacun plus fort. Et ce n’est pas un calcul cynique d’intérêt qui nous conduit à cette sagesse; car l’alliance avec autrui n’est féconde, «intéressante», que si, précisément, l’amour pour autrui est véritable, c’est-à-dire désintéressé!

La perfection de la morale est dans la sagesse, grâce à laquelle on n’est plus vertueux par devoir, et dans l’obéissance, mais par amour, et dans la joie. Le bonheur n’est pas la récompense de la vertu, c’est la vertu même.

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