Pascal : L'"esprit de géométrie"
Chez Pascal, le penseur chrétien ne doit pas faire oublier le scientifique surdoué:
il écrivit à dix-sept ans un traité sur les figures engendrées par les sections de cônes,
conçut une machine à calculer, inventa le calcul des probabilités, découvrit la pression
atmosphérique… et établit la théorie philosophique de cette pratique scientifique. Il
expliqua aussi que l’humanité était comparable à un homme qui progresse en accumulant
des connaissances. L’humanité a une mémoire, qui permet la continuité et le progrès.
1. Le cœur et la raison
Pascal présente la «méthode géométrique» comme la plus parfaite que la raison puisse suivre
dans la connaissance. Elle consiste en deux points: définir tous les termes que l’on emploie,
et prouver tout ce que l’on avance en le déduisant de propositions déjà connues. Définir, c’est
attribuer un nom précis à chaque chose; prouver consiste à remplacer une expression par son
équivalent préalablement défini (cf. esprit de géométrie*).
Mais cet ordre rencontre bien vite sa limite. On ne peut remonter indéfiniment de preuve en
preuve et de définition en définition. On arrive nécessairement à des mots primitifs, qu’on ne
peut plus définir, à des principes si clairs et si évidents qu’on ne peut plus les prouver.
La raison rencontre donc une limite dans son travail de déduction et de définition. Il y a
une source de vérité au-dessus d’elle, qui lui donne les principes à partir desquels elle mène
ses déductions. C’est le cœur. Le cœur sent, mais ne prouve pas. «Le cœur a ses raisons que la
raison ne connaît point» (Pensées): nul romantisme là-dedans! Il ne s’agit pas d’en appeler à
une sentimentalité irrationnelle (cf. esprit de finesse*).
Le cœur est au fond le nom pascalien de l’intuition cartésienne. C’est le cœur qui nous fait
sentir les trois dimensions de l’espace, lui qui nous persuade de l’existence du monde, choses
très claires et distinctes qui ne peuvent être prouvées. Le cœur est infaillible et ne doit pas
être identifié avec la passion amoureuse.
2. La méthode expérimentale
La méthode expérimentale, propre aux sciences de la matière, diffère de la méthode mathématique.
Elle part des faits, et doit toujours leur confronter ses résultats. Il faut se livrer d’abord à
l’observation; formuler ensuite des hypothèses explicatives; enfin éprouver ces hypothèses par
l’expérimentation adéquate. La science est au fond le passage de l’expérience aveugle, désordonnée,
à l’expérimentation, méthodique, guidée par l’hypothèse.
À la suite de Torricelli, qui cherchait à comprendre pourquoi l’eau des pompes des fontainiers
de Florence ne pouvait monter au-delà d’une certaine altitude (observation), Pascal va reprendre
l’hypothèse selon laquelle c’est le poids de l’air sur l’eau qui détermine l’altitude qu’elle peut
atteindre. Pour confirmer cette hypothèse, il va imaginer une expérimentation décisive.
Pour cela il utilise à nouveau le dispositif de Torricelli: un tube rempli de mercure, renversé,
du côté de son ouverture, dans une cuve de mercure. Le mercure s’établit à un certain niveau dans le
tube, laissant du vide au-dessus de lui. Ce vide allait contre la physique médiévale, qui en niait
l’existence, disant que «la nature a horreur du vide».
Pour éliminer les autres hypothèses, comme celle d’une substance très fine qui passerait à travers
le tube pour pousser vers le bas le mercure et créer un «vide», et pour tester seulement celle du
poids de la colonne d’air, Pascal décide de mesurer la hauteur du mercure dans le tube à des altitudes
différentes, dans une même journée, autrement dit en faisant varier la pression atmosphérique. Les
résultats sont nets: les variations sont fortes et proportionnelles à l’altitude. Voilà qui donne une
grande certitude à l’hypothèse de Torricelli. Le mercure cesse de s’élever dans le tube quand son poids
équilibre la pression atmosphérique qu’il subit dans la cuve.
On voit que le but de l’expérimentation est de recréer à volonté le phénomène observé, dans des
conditions choisies, propre à isoler la cause que l’on cherche et que l’hypothèse a proposée. C’est
une démarche active, une expérience construite, maîtrisée par l’expérimentateur, qui pose des questions
à la nature.
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