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Husserl : Au-delà de la conscience

La pratique de l’épochè suppose le retour sur soi, la mise entre parenthèses du monde et d’autrui. La phénoménologie court donc le risque d’être un solipsisme, c’est-à-dire une philosophie affirmant que je ne peux être certain que de ma propre existence. Pour éviter que le moi ne soit ainsi enfermé en soi-même, Husserl part à la recherche de l’autre conscience. Comment savoir qu’elle existe? Pour qu’il y ait un monde objectif, il faut qu’il ne soit pas seulement un monde pour moi, il faut qu’il soit aussi le monde d’un autrui.

1. Moi-même et l’autre

A. Le problème d’autrui

Le sens commun estime que l’existence d’autrui va de soi: à la fois chose de la nature, organisme guidé par un psychisme et conscience pour qui un monde existe, autrui m’est pourtant inaccessible. Les pierres sont aussi des choses de la nature; les animaux sont aussi un corps guidé; seule la conscience du monde caractérise autrui. Cepen­dant, jamais je ne pourrai percevoir qu’autrui est conscience: il faudrait pour cela que j’accède à ses vécus, en somme qu’autrui soit moi-même. Comment m’assurer dès lors de son existence? Que signifie l’existence d’autrui pour moi?

Je suis un ego, autrui est un alter ego: je le considère comme un reflet de moi-même, reflet qu’il m’est impossible de contempler. Dans la sphère de tout ce qui m’est donné, je pose quelque chose qui ne m’est pas donné: autrui.

B. La sphère d’appartenance

Pour savoir ce qu’est cet autre moi-même, il faut savoir ce que j’entends par «moi-même». Je suis caractérisé par tout ce qui «m’appartient»: je suis moi-même la complexe articulation d’un organisme, que seul je dirige, et d’une âme, qui m’est propre. Le corps de l’appartenance, c’est mon corps «de l’intérieur» tel que je suis seul à pouvoir en être conscient: seul je ressens sa douleur ou son plaisir, sa résistance ou sa docilité.

Enfin, «mon appartenance» comprend aussi mes perceptions du monde, en tant qu’elles sont un état de mon corps et de mon âme. Les choses existent indépendamment de la conscience que j’en ai; mais elles existent aussi comme objets de ma conscience. Ils font partie de ma sphère primordiale, sont à moi sans faire partie de moi; au contraire, c’est en tant qu’ils ne m’appartiennent pas qu’ils appartiennent au monde extérieur et, potentiellement, à autrui.

2. L’autre «en chair et en os»?

A. L’«apprésentation*» d’autrui

Autrui est pour moi une autre sphère d’appartenance, c’est-à-dire un ensemble d’apparitions exclusif de toute autre conscience que la sienne. Une pomme m’apparaît bien «en chair et en os», en même temps qu’elle m’apparaît à moi; autrui ne m’apparaît jamais «en chair et en os», mais se signale plutôt par son corps.

Qu’est-ce qui fait que le corps d’autrui ne m’apparaît pas comme une simple pierre? Ce n’est pas que son corps me rappelle, par analogie, mon organisme propre; la façon dont l’autre corps se guide a immédiatement pour moi le sens d’un corps «habité» par un psychisme. Par extension, la perception du corps organisé d’autrui me fait entrer par une forme de sympathie dans ses sentiments. La conscience qui use d’un corps qui lui appartient, les sentiments et vécus qui sont propres à cette conscience, la perception du monde qui est sienne, je ne les vois pas directement exister sous mes yeux, mais je sais indirectement que cela existe.

B. La communauté humaine et le monde objectif

Lorsque je perçois un objet, les faces que je ne perçois pas pourraient être perçues par autrui: c’est par cela qu’il déborde mon appartenance, ne m’appartient pas en propre. J’estime que l’objet existe en soi (c’est l’objectivité), parce que je sais d’abord que c’est le même objet qui existe pour une communauté de sujets (c’est l’intersubjectivité).

Moi-même, j’existe pour d’autres sujets, qui existent pour moi: en reconnaissant réciproquement nos existences, nous formons une communauté, et nous habitons le même monde. Le monde de la communauté des hommes, ce n’est pas le monde objectif, c’est un monde intersubjectif; ce n’est pas un monde en soi, c’est un monde des hommes.

C’est dans le monde intersubjectif, ou communauté des hommes, que les actes sociaux prennent un sens; c’est en lui que la culture s’enracine. Il n’est qu’une «ambiance» commune du monde objectif, une couche qui se superpose au monde en soi, et par laquelle nous y accédons.

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