Heidegger : La question de la vérité
La question de la vérité est importante pour Heidegger. Elle est en rapport étroit avec celle de
l’être. En effet, de même que l’on oublie l’être, pour se laisser fasciner par l’étant, qui ne serait
pas sans lui, de même on oublie que la vérité en son sens classique ne serait pas possible sans la
vérité originaire, la vérité ontologique, qui consiste tout simplement en l’apparition des choses
«au jour clair de la présence».
1. L’essence de la vérité
A. La vérité ontique
La définition traditionnelle de la vérité est la suivante: la vérité consiste en l’accord de
l’intelligence avec la chose, en l’adéquation du jugement avec son objet. Par exemple, si je dis:
«la porte est ouverte» et que c’est le cas, mon jugement est vrai. Le jugement, qui consiste à
affirmer quelque chose de quelque chose, est le lieu du vrai et du faux.
Qu’il y ait accord ou adéquation ne signifie pas que le jugement ressemble ou est identique
à la chose. On ne compare pas un jugement à la chose, comme une copie à l’original! Le jugement
est l’acte intellectuel à travers lequel on vise la chose elle-même, il n’est pas un intermédiaire
qui nous sépare d’elle, ni une réalité indépendante.
Le jugement est vrai si l’intuition, c’est-à-dire la perception, vient remplir adéquatement
la signification visée par le jugement. L’accord n’est donc pas une ressemblance ou une identité,
mais un remplissement intuitif d’une certaine visée.
B. La vérité ontologique
La vérité du jugement suppose donc que nous ayons d’abord et originairement accès aux choses
elles-mêmes, que les choses se manifestent pour que nous puissions en juger. Il y a donc une
vérité d’avant le jugement, «anté-prédicative» (ante: avant; praedicare: juger), qui n’est autre
que le contact du Dasein avec l’être.
La vérité prise en ce sens originaire (Heidegger l’appelle aussi vérité ontologique*) n’est pas
un discours vrai, mais ce qui rend possible tout discours vrai. De même que dire «il fait nuit» ou
«il fait jour» suppose de n’être pas aveugle, mais ouvert à la dimension du visible, de même dire
vrai sur tel ou tel étant suppose d’être ouvert à la dimension de l’être en général. Cette ouverture
de l’être à lui-même dans le Dasein, Heidegger l’appelle alèthéia (vérité en grec, traduit
littéralement par «dévoilement»). La vérité originaire n’est rien d’autre que le dévoilement des choses,
l’apparition de l’être.
2. La mise en œuvre de la vérité
A. Le langage
Pour découvrir l’essence du langage, il faut se débarrasser de quelques idées préconçues. Les voici.
Le langage serait «le moyen d’expression et de communication de nos états intérieurs» (Acheminement
vers la parole).
D’abord, il est illusoire de croire que le langage reproduit nos états intérieurs, recopie notre
pensée, qui serait toute faite à l’intérieur. Notre pensée se fait dans le langage lui-même, à même
les mots. Elle ne lui préexiste pas. Ensuite, le langage n’est pas un instrument inventé par l’homme:
si toute langue particulière est une création humaine, la faculté de parler est un don de l’être.
Enfin, le langage ne se réduit pas à un instrument de communication. Il institue d’abord un monde
commun, en le nommant, en le rendant présent dans les mots. C’est l’être lui-même qui vient à se
présenter dans la parole, dans l’acte essentiel et premier, l’acte poétique de nomination. «L’essence
de la parole, c’est la parole de l’essence» (id.).
B. L’art
L’art ne consiste pas seulement, ni même toujours, en une belle représentation des choses. L’esthétique
n’est pas l’essentiel, ni l’émotion ni le grandiose. L’art est essentiellement manifestation de la vérité.
Mais – attention! – pas au sens où l’œuvre devrait être une représentation fidèle des choses, éventuellement
«plus vraie» que la représentation habituelle.
L’œuvre d’art* ne «représente» rien d’autre que l’apparition même des choses, dans la dimension de
l’alètheia. Ce qui est représenté au fond importe peu; ce qui compte, c’est que la présence de la chose
soit donnée à voir, de manière pure, libérée des considérations utilitaires, scientifiques ou culturelles
qui dans la vie nous empêchent de contempler l’existence pure des choses.
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