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Bachelard : Qu'est-ce que la science ?

Bachelard forme le projet d’une philosophie qui épouse au plus près la pensée scientifique. Au lieu de chercher à dicter à la science de prétendues règles universelles de la pensée, qui sont autant d’obstacles au progrès scientifique, la philosophie doit s’attacher humblement à penser la raison humaine comme un cadre aux structures malléables, qui ne donne pas ses lois au savoir, mais se plie progressivement aux lois du savoir.

1. Le savoir préscientifique

A. La science et le sens commun

Au XIXe siècle, la science était intuitive; ses résultats, constatables, portaient sur un monde d’évidences immédiates, celui de la vie de tous les jours.

Au XXe siècle, la science a perdu son intelligibilité immédiate. Les résultats de la science cadrent mal avec nos habitudes psychologiques de pensée, et forment autant de «messages d’un monde inconnu». Ainsi la science nous force-t-elle à considérer la lumière à la fois comme une onde et un corpuscule.

Le monde artificiel du scientifique est plus réel que celui du sens commun; il est fait de la réalisation technique forcée de théories. Ainsi, les trajectoires qui séparent les isotopes dans le spectroscope de masse n’existent pas dans la nature.

B. Les obstacles à la science

Le sens commun cherche à tout comprendre à partir de quelques images simples. Les intuitions naïves expliquent tout l’univers dans un système fermé; les recherches sont infécondes et ne tendent qu’à confirmer le modèle, véritable obstacle à la science.

Les modèles de l’imagination qui interviennent dans la connaissance scientifique reposent souvent sur les profondeurs de l’inconscient. La libération du savoir nécessite une véritable psychanalyse de la connaissance scientifique.

Le rôle de la métaphore était jusqu’au XIXe siècle fondamental pour la compréhension des sciences. Cependant, c’est précisément en ce qu’elle fait comprendre que l’image empêche d’en comprendre plus: l’image finit par dispenser d’explication supplémentaire sur un phénomène.

D’une manière générale, l’obstacle au progrès scientifique est la science elle-même: Bachelard l’appelle «obstacle épistémologique». C’est précisément la façon même dont nous pouvons comprendre quelque chose qui nous empêche de le comprendre vraiment plus avant. Le progrès de la connaissance scientifique nécessite de surmonter l’obstacle épistémologique; la science progresse par réforme de la science.

2. Les voies de la science

A. Le «matérialisme rationnel»

Le matérialisme scientifique n’est pas le matérialisme philosophique, qui définit initialement tout ce qui existe comme matière et cherche par la suite à tout y réduire; c’est au contraire un matérialisme de résultat.

De même, le rationalisme initial du philosophe applique la même forme de connaissance à tout: c’est un idéalisme infécond pour la connaissance. Ainsi, le déterminisme* n’est pas un théorème de la science, mais un dogme de la philosophie: le scientifique n’applique le déterminisme que dans le cadre limité d’un système arbitrairement clos de phénomènes. Son déterminisme est régional. Le rationalisme scientifique n’est pas un a priori, il se constitue par intégration progressive, a posteriori, des rationalismes régionaux. C’est un «rationalisme intégrant».

B. L’évolution des sciences

C’est la science qui donne sa forme à la raison, ce n’est pas la raison qui donne sa forme à la science. Puisque la science progresse, la structure de l’esprit évolue. L’esprit scientifique est essentiellement la rectification d’un savoir antérieur: sa structure est «la conscience de ses fautes historiques». Le savant croit partir d’un esprit sans structure, le philosophe pense avoir affaire à un esprit pourvu des catégories du réel. Le savant ne prête pas attention à la cohérence et à la résistance des systèmes erronés du savoir. Le philosophe ne donne à l’esprit qu’une seule évidence à vivre, dont le reflet est sans fin.

Les progrès de l’histoire des sciences ne sont pas continus: ils éclatent et bouleversent le champ du savoir. Aux «obstacles épistémologiques» s’opposent les actes épistémologiques*.

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