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La crise de mai 1968

Introduction

1958 avait marqué le début de la Vème République et ouvert une ère de stabilité politique et de personnalisation du pouvoir. La République gaullienne souffre pourtant à la fin des années 1960 d'un certain essoufflement. Une société d'abondance, en pleine mutation, l'usure d'un pouvoir trop personnel, la volonté de "changer la vie", d'un renouveau..., tels sont les ingrédients du cocktail de mai 68.

1 Causes et naissance de la crise

La crise de mai 68 est le produit de plusieurs phénomènes conjugués.

1.1 L'usure du pouvoir

A la fin des années 1960, la Vème République souffre des rancœurs farouches suscitées par le "cancer algérien". Le pouvoir très personnel du vieux général est victime d'une réelle bien qu'imprécise usure. Elle est perceptible depuis la mise en ballottage du général de Gaulle aux élections présidentielles de 1965. En outre, les élections législatives de 1967 n'ont laissé aux gaullistes qu'une très faible majorité grâce aux sièges d'Outre-Mer et l'appoint des Giscardiens. Malgré leur soutien, ceux-ci critiquent l'exercice solitaire du pouvoir de de Gaulle.

1.2 Les mutations de la société française et le malaise étudiant

La "société de consommation" avec les changements culturels qu'elle entraîne ouvre la voie à la recherche d'innovations, voire à la crise des valeurs anciennes. L'arrivée des baby-boomers de l'après-guerre à l'âge adulte accentue ce besoin de renouveau dans la société française. Autre facteur de mécontentement issu des mutations de la société française : pour la première fois, un chômage structurel apparaît (l'ANPE est créée en 1967, année de récession économique).

Mais les acteurs premiers du mouvement au sein de la société française, ce sont les étudiants. La démocratisation et l'essor démographique gonflent les effectifs universitaires. Il n'y a ni assez de locaux, ni assez de maîtres. L'Université se renforce donc de cohortes d'assistants et de maîtres assistants puisés parmi les jeunes professeurs de lycée, mais ils ne bénéficient naturellement pas du même statut que les "maîtres" proprement dits et la frustration légitime qu'ils éprouvent fera d'eux les avocats naturels de la révolte étudiante.

1.3 Un phénomène mondial

Qui plus est, le mécontentement des étudiants français coïncide avec l'essor des mouvements libertaires étrangers que le cosmopolitisme des mass médias permet de mieux connaître. Ainsi, on connaît Berkeley, foyer de départ de la contestation juvénile mondiale, on connaît l'exemple "romantique" de la Révolution Culturelle chinoise dont on ignore encore les effets pervers.

Les jeunes des pays développés critiquent la société de consommation qui n'offre pas d'idéal, dénoncent l'impérialisme américain, notamment le Viêt-nam, éprouvent de la sympathie pour les mouvements révolutionnaires.

1.4 Nanterre, le catalyseur

Pour soulager les sureffectifs de la Sorbonne-Lettres, on vient de faire bâtir l'annexe de Nanterre où le mouvement va prendre naissance. Située dans une banlieue ouvrière pauvre et d'accès malaisé, la faculté neuve va très vite se politiser, notamment après l'interpellation de militants du Comité Viêt-nam. Après une cascade d'événements mineurs, le mouvement du 22 mars se forme sous la houlette de Daniel Cohn-Bendit, étudiant de sociologie juif allemand, et occupe Nanterre.

Le mouvement se développe ; empêchés de tenir meeting dans leur établissement, les étudiants se rendent à La Sorbonne d'où ils sont délogés par la police. Ce recours démesuré entraîne l'appel à la grève général de l'UNEF. La colère étudiante s'amplifie.

2 Les trois volets de la crise

La gronde étudiante est donc bien lancée. Le mouvement s'amplifie du 3 au 13 mai, la crise devient sociale le 13, se noue en une crise politique du 27 au 30 et refluera seulement en juin.

2.1 Une crise étudiante

Du 3 au 10 mai, la grève étudiante s'étend. Le 10, les lycées se mettent à leur tour en grève. Le malaise d'une génération s'exprime par de violentes manifestations surtout parisiennes et surtout autour du quartier latin dans la nuit du 10 au 11, Paris retrouve les barricades de la Révolution.

Mais la contestation est aussi verbale s'épanouissant spécialement à la Sorbonne. Les slogans scandés par les manifestants permettent de mieux cerner leurs aspirations : outre le "CRS-SS" qui fera fortune, le poétique "sous les pavés, la plage" et le non moins célèbre "Changeons la vie et transformons son mode d'emploi" ou encore "10 ans, ça suffit, bon anniversaire mon Général". S'exprime alors le refus d'une société technocratique, ressentie comme répressive, qui parle de liberté et de fraternité mais repose surtout sur le conformisme et où règnent les inégalités sociales.

Cependant, il est bon de noter que seule une minorité conteste activement et que la majorité des étudiants reste passive. Le reste de la population française reste lui aussi assez immobile même si les brutalités policières attisent parfois sa sympathie pour le mouvement étudiant.

2.2 Une crise sociale

Ce sont justement ces brutalités que dénoncent les centrales syndicales en appelant à la grève générale pour le 13 mai contre les excès de la police. La grève est un succès, impliquant pour la première fois le monde du travail à côté du monde étudiant. Grève sur le tas, spontanéité ouvrière, réminiscence de juin 1936, les syndicats sont dans un premier temps débordés, mais encadrent peu à peu le mouvement.

C'est sur fond de lutte des classes généralisée que la contestation universitaire se prolonge. Pompidou, de retour en France, lâche du lest : évacuation de la Sorbonne, libération des étudiants emprisonnés et recherche de contacts avec les syndicats ouvriers. En effet, malgré les élans du 13 mai, les deux mouvements se désolidarisent très vite :les délégations étudiantes venues de la Sorbonne pour fraterniser romantiquement avec la classe ouvrière ne sont pas reçues chez Renault. Pour l'Etat, seule la grève économique représente une menace. C'est donc sur cette crise que doit se concentrer le gouvernement. Les négociations avec les syndicats aboutissent avec les accords de Grenelle le 27 mai qui augmentent le SMIG de 35%.

S'ils satisfont la CGT qui souhaitait obtenir des avantages immédiats, les accords déçoivent la CFDT et surtout une partie de la base, qui souhaite des réformes de structure. Les syndicats ouvriers n'ont pas l'emprise escomptée sur le mouvement, les grèves continuent, le gouvernement semble à court de solution, la crise devient politique.

2.3 Une crise politique

Le 24 mai, la France est paralysée par 10 millions de grévistes. Le 27, lors d'un meeting du mouvement étudiant au stade Charléty, on note la présence de Pierre Mendès France et de quelques notables de gauche. La tentative de récupération du mouvement est manifeste le lendemain, alors que F Mitterrand déclare dans un communiqué de presse que si de Gaulle devait démissionner, il se porterait candidat à sa succession et prendrait Pierre Mendès France dans son gouvernement. De son côté, le PCF organise une puissante manifestation le 29 mai réclamant un "gouvernement populaire". La crise est à son apogée avec la disparition de de Gaulle.

La situation se retourne avec le retour de de Gaulle, sûr de la fidélité de l'armée après sa rencontre avec Massu à Baden-Baden. Dans un message radiodiffusé, de Gaulle demande à ses fidèles de se joindre à une manifestation de soutien et annonce qu'il en appelle à l'opinion en prononçant la dissolution de l'Assemblée nationale.

La "majorité silencieuse" se rassemble autour du Général : le défilé gaulliste de la Concorde à l'Arc de Triomphe connaît un grand succès. Habilement, les gaullistes amalgament les gauchistes et la gauche, d'où un succès écrasant de la majorité aux élections : la France est lasse du désordre. Les législatives de juin sont un triomphe pour la majorité : elle obtient 358 sièges dont 293 pour la seule UDR. En face, 127 opposants forts divisés.

3 Les conséquences de la crise

3.1 A court terme, au plan politique

Malgré le triomphe électoral du mouvement gaulliste qui obtient pour la première fois la majorité absolue des sièges, les premières divisions au sein du gaullisme apparaissent. Les députés gaullistes envoyés à l'Assemblée sont de tendance nettement conservatrice, ils ont été choisis par une France qui a eu peur du désordre. Non seulement ils montreront des réticences vis-à-vis des tentatives réformistes de de Gaulle, mais en plus, c'est une majorité qui se reconnaît plus en Pompidou qu'en de Gaulle.

Par ailleurs, le chef de l'Etat prend la décision très controversée de remplacer Pompidou par son très fidèle ministre des Affaires Etrangères, Couve de Murville. De Gaulle n'a en effet pas accepté que Pompidou lui fasse ombrage pendant la crise et le besoin de tourner la page se fait sentir. La scission entre les deux hommes s'accentue lorsqu'en 1969, à Rome, Pompidou se propose à la succession du Général. Celui-ci, dont l'autorité a été remise en cause par la crise de mai 68 et qui se voit défié par un de ses proches, veut relancer le régime dans sa vocation réformatrice. Mais le référendum qu'il lance sur la régionalisation et qu'il annonce comme un test de confiance est un échec le 27 avril 1969. De Gaulle démissionne et la crise de mai 68 en est une cause indirecte.

3.2 A moyen terme, au plan universitaire

Edgar Faure qui reçoit la responsabilité écrasante de l'Education Nationale met fin à la grogne étudiante. La loi Edgar Faure réorganise les universités et y introduit notamment tout un système de conseils élus où sont représentés toutes les catégories d'enseignants, les étudiants et les autres personnels de l'université. Le système de cogestion pour lequel le Mouvement de Mai s'était battu triomphe donc d'une certaine manière même si pour sauver la face, les gaullistes parlent plutôt d'un système de participation qui est plus en accord avec leur doctrine.

3.3 A plus long terme, une remise en cause du pouvoir

A long terme, mai 68 aboutit à des changements plus profonds dans la société. Les institutions traditionnelles sont remises en cause : la magistrature, l'armée, la famille, l'Eglise. Partout, de l'entreprise jusqu'à la Présidence de la République, le principe d'autorité est attaqué. C'est cet aspect anti-autoritaire et libertaire ("il est interdit d'interdire") qui va marquer durablement la société et la vie politique françaises. En tout cas, mai 68 représente une grande période de démocratie directe, qui accélère l'évolution des mentalités sur le travail, l'environnement, le rôle des femmes.

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