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Chrétien de Troyes

1:L’auteur

Comme il arrive souvent pour les auteurs de cette époque, la biographie de Chrétien de Troyes est fort mal connue. Il dut naître vers 1135, et mourir vers 1183. Est-il chanoine ? Il se nomme lui-même Chrétien de Troyes dans son premier roman, puis Chrétien partout ailleurs. Il est sans doute clerc. Il a dû vivre à la cour de Marie de Champagne, car Le Chevalier de la charrette est une commande de cette noble dame, puis à la cour des Flandres, auprès de Philippe d’Alsace, à qui est dédié Le Conte du Graal. La condition des hommes de lettres à cette époque, en l’absence de ressource alternative, leur imposait constamment de se trouver quelque généreux mécène qui leur permît de subsister.

Des traductions d’Ovide, un poème sur « le roi Marc et Iseult la blonde », aujourd’hui perdus, deux chansons d’amour et cinq romans en octosyllabes, Érec et Énide vers 1170, Cligès vers 1176, Le Chevalier de la charrette vers 1179, Le Chevalier au lion vers 1180, et Le Conte du Graal resté inachevé à la mort de l’auteur vers 1183, voilà en somme le peu de choses connues à propos de Chrétien. Mais à défaut de l’homme, ses romans permettent de connaître le poète. Ce sont tous des romans arthuriens, mais aucun ne raconte la vie d’Arthur. En fait, ce roi et sa cour servent d’ancrage littéraire pour toute une série de récits satellites qui tournent autour de lui. Le monde arthurien est un cadre préalable, sans amarre ni attache, un temps et un lieu mythiques, qui jouent sur l’horizon d’attente des lecteurs, dont la familiarité culturelle avec cet univers dispense le poète de détails et précisions superflus.

2:L’oeuvre

Ces romans posent une problématique constante, et tentent d’y répondre de manière dialectique : comment concilier éthique chevaleresque et éthique courtoise ?

  • Érec et Énide : le roman commence là où s’arrêtent en général les autres, au mariage. Érec, fils du roi Lac, doit apprendre à concilier amour et aventure, car sa « récréantise » en ses délices conjugales, c’est-à-dire sa faiblesse ou sa mollesse, provoque l’indignation de tous, et même d’Énide. Il devra donc par ses hauts faits reconquérir l’estime de son épouse, pour démontrer à tous son éminente valeur chevaleresque, égale à sa dignité courtoise.
  • À l’inverse, Yvain, le chevalier au lion, sacrifie son amour à sa gloire chevaleresque, puisque aussitôt après son mariage, il part à l’aventure, et oublie le terme du retour fixé à son épouse un an après. Repoussé par elle, il erre fou de chagrin dans la forêt, avant de reconquérir un jour sa bien-aimée Laudine.
  • Cligès et Le Chevalier de la charrette semblent consacrer le triomphe de l’éthique courtoise, ou du moins de l’amour, dans la mesure où les héros sont prêts à sacrifier honneur et loyauté pour leur bonheur à eux, une attitude qui, parfois, pose problème.

Or Le Conte du Graal appelle à un dépassement suprême : si Perceval et Gauvain incarnent respectivement l’idéal chevaleresque et l’idéal courtois, pourront-ils cependant se hausser à l’idéal mystique que propose le Graal ? D’ailleurs, qu’est-ce au juste que ce Graal, vers quoi se pressent tant de chevaliers en quête ? C’est apparemment un vase sacré, apparenté, par ses origines celtiques, au chaudron magique ou à la corne d’abondance des rites païens. Mais chez Chrétien, l’objet prend sa place dans un contexte largement chrétien, comme pouvant être le calice ayant recueilli le sang du Christ sur la croix. Le Graal demeure malgré tout le mystère absolu, lumière et pureté sur terre...

En translatant la matière de Bretagne dans ses romans, Chrétien lui fait subir quelques modifications qui infléchissent les sources primitives : il diminue d’une part la dimension mythologique des légendes, ainsi euphémisée, si ce n’est rationalisée, et il augmente d’autre part la dimension psychologique des intrigues, qui donnent lieu parfois à une subtile casuistique* amoureuse. En tout cela, l’auteur prend une certaine distance, bien souvent ironique, vis-à-vis de la légende. La matière de Bretagne, brute, populaire et mythique, devient entre ses mains une œuvre spirituelle, littéraire et poétique.

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