Travail, intégration et exclusion
Définitions utiles :
- Anomie : lorsque les règles sociales n’existent pas ou ne sont plus respectées,
l’individu est désorienté par cette perte de repères ce qui peut aboutir à la déviance, au suicide.
- Cohésion sociale : unité et solidarité des membres d’une société qui vient d’une
conscience collective forte.
- Conscience collective : croyances et sentiments communs d’une société que les
générations se transmettent.
- Division sociale du travail : dans une société moderne, tous les individus ont
des activités différentes, spécialisées et complémentaires. Cette division sociale du travail a une
efficacité économique mais, pour Durkheim, est surtout source de solidarité entre les individus.
- Exclusion : quand l’individu n’est plus intégré dans la société et n’a plus de
lien social ; aujourd’hui on la rencontre dans les cas de pauvreté économique, sociale et culturelle,
souvent en liaison avec le chômage.
- Intégration : insertion dans la société, c’est-à-dire en avoir adopté les normes
et valeurs, les avoir intériorisées, les respecter mais aussi avoir été accepté par la société.
- Lien social : ce qui dans une société relie les individus à la société. Ce lien
social peut être lié à des relations marchandes (marchandisation de la société : tout s’achète, tout
se vend), à des relations de citoyenneté (on appartient tous à un même ensemble puisqu’on a tous les
mêmes droits et devoirs).
- Stigmate : attribut à connotation négative qui pèse sur l’individu et tend à le
mettre à l’écart de la société.
Auteur
Émile Durkheim (1858-1917) : sociologue français considéré comme l’un des « pères
fondateurs » de la sociologie. Il explique les faits sociaux par d’autres faits sociaux et non pas par
l’addition de comportements individuels. Les faits sont des « manières d’agir, de penser et de sentir,
extérieures à l’individu. Ils s’imposent à lui. » Durkheim a étudié les fondements de la solidarité
sociale et de la cohésion d’une société. Ses principaux ouvrages sont De la Division du travail social
(1893), Les Règles de la méthode sociologique (1895), Le Suicide (1897).
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le travail a été l’élément fondamental pour intégrer les individus
à la société. Dans la période actuelle de chômage, est-il toujours synonyme d’intégration ? Le chômage
est-il la seule source d’exclusion ?
1. La valeur travail, fondement de notre société
A. Division du travail et solidarité (Durkheim)
Les membres des sociétés modernes ont des fonctions de plus en plus spécialisées et différenciées.
Plus le progrès technique avance, plus la spécialisation de chaque fonction, de chaque métier, devient
pointue. C’est la division sociale du travail inhérente à l’évolution des techniques. Chacun remplit
sa tâche au mieux, gagne en productivité et en efficacité par sa spécialisation mais devient dépendant
des autres pour tout ce qu’il ne produit pas lui même. Les individus sont tous différents et
complémentaires. Chacun a besoin du travail et de la production des autres. D’où un sentiment
collectif d’utilité puisque chacun accomplit une tâche utile à tous, l’individu est un maillon
d’une grande chaîne ; d’où aussi un sentiment de dépendance et de respect vis-à-vis d’autrui.
La conscience collective des sociétés primitives disparaît et fait place à une conscience
individuelle dans les sociétés modernes. Le sentiment d’appartenir à un tout, d’y être intégré
forge la cohésion sociale et la solidarité entre les individus. D’autre part, cette interdépendance
des membres de la société renforce les liens sociaux indispensables. Plus la division du travail est
poussée, plus les liens sociaux sont denses. Le niveau culturel s’accroît.
B. Le travail n’a pas toujours été un facteur d’intégration
Chez les Romains, le travail était réservé aux esclaves ; au Moyen Âge, les serfs et les vilains
travaillaient, la noblesse se réservait les tâches les plus nobles. Jusqu’à la Révolution française,
travailler n’était pas valorisé : le tiers état et la bourgeoisie produisaient sans être socialement
récompensés. Aujourd’hui encore, dans les pays du tiers monde, le travail est souvent l’apanage des
enfants (250 millions d’enfants travaillent dans le monde) ou des couches défavorisées de la société.
En Inde, la division du travail correspond à la division de la société en castes. Les intouchables,
impurs, héritent les travaux les plus durs et les plus repoussants. Cette division de la société y a
une utilité plus économique que sociale et est justifiée par la religion.
La valorisation du travail et l’intégration par le travail sont récents. Depuis 1950, l’entrée des
femmes dans la vie active par le biais du salariat correspond à une indépendance économique mais aussi
pour elles à un changement de statut social. Par leur travail en tant que salariées, les femmes ont
acquis non seulement une autonomie financière mais une indépendance vis-à-vis de leur famille, une
reconnaissance et une intégration dans la société. Aujourd’hui, le statut de femme au foyer est plutôt
socialement dévalorisé.
Travailler est devenu une valeur de notre société, valeur liée à la rationalisation des activités et
au capitalisme (Weber). Les actifs qui produisent sont valorisés dans la société car ils permettent de
faire vivre l’ensemble des individus. Le travail confère une dignité, une image positive de soi-même.
C. Aujourd’hui, l’intégration par le travail
Le travail est un moyen essentiel d’existence économique et social. On existe par le travail parce
qu’il est source de revenus, qu’il permet par ce revenu l’accès à la société de consommation, parce
que le travail structure le temps. Le temps libre est en opposition avec le temps travaillé, les
vacances, le repos avec le travail, la retraite est la récompense d’une vie de travail.
Le travail dans notre système de sécurité sociale donne des droits. Travailler c’est aussi cotiser
et donc asseoir ses droits à la santé, aux allocations de chômage ou de vieillesse. Le travail c’est
appartenir à une communauté : l’entreprise, l’usine, le bureau sont la source d’un lien social qui
peut être lien hiérarchique ou lien d’amitié. C’est souvent au travail que se fait la prise de
conscience d’appartenir à une classe et l’origine des revendications. Le travail est un signe fort
d’appartenance à la société, donc un moyen d’intégration et de cohésion sociale.
D. La précarisation de l’emploi et la remise en question de l’intégration par le travail
Le développement de l’emploi atypique ou précaire fragilise la relation entre intégration et travail.
Les salariés en intérim, en contrats à durée déterminée, les non-titulaires du secteur public, les
indépendants travaillant peu, les salariés à temps partiel subi alternent souvent des périodes de
chômage et des périodes courtes de travail et n’ont plus le sentiment d’intégration lié à ce travail.
Leur temps dans l’entreprise est trop court pour s’impliquer, créer du lien social, s’inscrire dans une
relation de revendications ; la durée joue un élément négatif. Ces salariés « de passage » n’ont plus ni
le sentiment d’appartenir à une communauté ni d’être utile dans la société qui ne les emploie que
lorsqu’elle en a besoin.
Ce manque de reconnaissance sociale est également ressenti chez les salariés qui sont déqualifiés
par le progrès technique, remplacés par la machine et dont le métier n’est plus reconnu aujourd’hui.
Il l’est tout autant chez les jeunes qui ne parviennent pas à trouver leur premier emploi (difficultés
d’insertion dans le monde du travail) ou chez les plus de cinquante ans envoyés en préretraite avec un
fort sentiment d’inutilité, au nom de la productivité et du renouvellement de la pyramide des âges. La
flexibilité de l’emploi nécessaire à la compétitivité des entreprises provoque donc l’exclusion temporaire
ou définitive d’une fraction de la population active pour qui travail ne rime plus avec intégration.
La division du travail est de plus en plus poussée, le travail atomisé et individualisé, l’homme se
sent seul et la solidarité entre les salariés s’estompe (par exemple dans le télétravail).
E. Vers d’autres valeurs d’intégration possibles
Si l’emploi devient, dans la société post-industrielle du XXIe siècle, rare et réservé à des
spécialistes hautement qualifiés qui par leur production permettront de satisfaire l’ensemble des
besoins de la population, il sera possible d’obtenir un revenu sans participer à l’activité
économique, les richesses étant partagées entre actifs et inactifs. L’équilibre actuel sera
inversé : les besoins satisfaits, la production abondante, mais le travail s’étant raréfié
deviendra un besoin.
Le travail ne se limite pas à l’apport de revenu. Il est source d’intégration et même si la
participation à la vie politique, à la vie citoyenne, aux associations, même si les loisirs,
le sport, la musique donnent à l’individu le sentiment d’exister socialement et une reconnaissance,
il ne semble pas que ces occupations soient suffisamment intégratrices pour remplacer le travail
sauf pour une minorité d’individus.
2. L’exclusion aujourd’hui
A. Définir l’exclusion
On peut définir l’exclusion par l’absence de lien social d’un individu ou d’un groupe (on
parle de groupes d’exclus) avec la société à cause de leur pauvreté. L’exclusion se définit
donc par un certains nombre de « moins » par rapport à la norme en vigueur dans notre société.
Le terme d’exclusion désigne des situations variées mais qui ont toutes en commun de désigner
une minorité rejetée.
- L’exclusion se fait d’abord par rapport à l’emploi. Les chômeurs, de longue ou très
longue durée, ceux qui ne retrouvent pas d’emploi même lorsque l’activité économique
redémarre, sont la forme la plus visible de l’exclusion qui en entraîne d’autres.
- L’exclusion par rapport au logement est souvent la conséquence de l’exclusion de l’emploi.
Pour avoir un logement il est indispensable d’avoir un revenu mais pour avoir un emploi et donc
un revenu il faut une adresse donc un logement. Les sans-logement sont dénommés SDF, sans
domicile fixe.
- L’exclusion de l’emploi s’accompagne d’une précarité des ressources et d’une pauvreté
d’où une exclusion de la consommation. Les exclus de l’emploi partent moins souvent
que les autres en vacances, connaissent moins les loisirs, ne peuvent pas envisager de projets à long
terme, sont parfois surendettés. Les exclus n’ont en général aucun patrimoine.
- L’exclusion touche aussi les domaines de la santé. Il y avait environ 400 000
personnes en France sans aucune couverture sociale et faisant appel à des organisations humanitaires
ou aux hôpitaux pour leurs soins, avant la création, en 1999, de la couverture maladie universelle
(CMU). Elle touche aussil’éducation. On trouve parmi les exclus beaucoup de non-diplômés et de
personnes ayant connu l’échec scolaire, voire des cas d’analphabétisme.
- L’exclusion se fait aussi par rapport à la solidarité familiale : célibataires,
séparés, divorcés, familles monoparentales, problèmes familiaux de jeunes sont souvent le lot des
exclus.
- Il y a enfin une nouvelle catégorie d’exclus dans notre société : les « sans-papiers »,
exclus des droits à la citoyenneté dans le pays dans lequel ils vivent parce qu’ils sont immigrés
clandestins.
B. Les origines de l’exclusion
Les exclus sont globalement victimes de la « fracture sociale », victimes de la crise économique
qui crée moins d’emplois qu’autrefois, de la mondialisation qui supprime les emplois des salariés
les moins qualifiés, du progrès technique qui rend certains métiers obsolètes et déclasse ceux qui
ne peuvent pas le suivre, des transformations de l’emploi liées à la flexibilité. Ils perdent ainsi
leur employabilité. Il faut y ajouter les victimes de la fragilisation du lien familial (augmentation
des situations de séparations, de divorces), de la démocratisation de l’enseignement qui envoie 80 %
d’une classe d’âge au baccalauréat mais rend pour les 20 % restant l’accès à l’emploi plus difficile.
Ce sont aussi les victimes du phénomène d’urbanisation rapide qui a créé dans les années 70 des
concentrations de pauvres dans les « grands ensembles » des quartiers de banlieue dits aujourd’hui
« sensibles », dans un habitat collectif n’ayant que peu de services et un accès difficile au centre
ville. Les exclus vivent donc cantonnés dans des quartiers « ghetto », les enfants sont scolarisés
dans des établissements classés en ZEP (zone d’éducation prioritaire) qui visent à lutter contre
l’échec scolaire, stigmates qui représentent un handicap pour trouver un emploi. D’où la reproduction
de la pauvreté.
La pauvreté peut avoir deux origines :
- naître dans un milieu pauvre (le « quart monde ») et par reproduction sociale rester dans ce
milieu pauvre (difficultés familiales, scolaires, d’insertion dans l’emploi)
- devenir pauvre par le chômage, l’incapacité à s’adapter aux changements, à une société de
compétition, les difficultés personnelles sans recours à l’aide familiale. Tout s’accumule pour
aboutir à un engrenage de régression sociale.
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